[Niveau 0] Mission 1 : Trouver un allié (America et Katô Sören)

D'ordinaire, elle n'aimait pas le territoire neutre.  Ça lui rappelait de mauvais souvenirs, elle qui y avait grandi heureuse avant d'y perdre tout ce dont à quoi elle tenait.  Et s'il y avait bien quelque chose qu'elle détestait entre tout, c'était cette idiote cérémonie de remise.  America en grandissant était venue à comprendre quelque chose d'essentiel : la communauté de Wonderland finirait par s'éteindre.  C'était un fait inévitable selon elle pour la bonne raison qu'un jour, le clan de ceux qui refusaient la réincarnation prendrait tant d'ampleur, tant d'horloges seraient détruites, qu'il serait impossible de maintenir le peuple envie.  Si encore beaucoup de gens se contentaient de cette fausse liberté, cette illusion dans laquelle ils vivaient tous depuis des décennies, des siècles, voir même des millénaires pour autant qu'on le sache, viendraient un jour où tout basculerait.  C'était empreinte de cette conviction qu'elle évitait comme la peste son territoire d'origine, mais encore plus la tour de l'horloge, cet endroit qu'elle trouvait lugubre.  Tout comme le Watchmaker.  Il lui faisait un peu l'effet d'être l'être le plus immoral de tout Wonderland.  Mais elle lui pardonnait partiellement : avec un peu de malchance, elle aurait bien pu devenir cet homme elle aussi.  Qui sait ce que le destin vous réserve à Wonderland si ce n'est son maître?  Et America n'aimait pas l'idée de savoir sa vie contrôlée dès sa naissance par une espèce de présence omnisciente.  Elle voulait être maîtresse de sa propre destinée.  Et celle-ci commençait par l'accumulation de trésors.  L'unique raison qui pouvait l'attirer jusque là par un tel jour.

Plus les gens étaient nombreux, plus elle trouvait son bonheur, telle était sa devise.  Depuis petite, à l'instar des dragons, America avait le talent de se faufiler dans les foules de par sa petite taille et ses petites mains qui plongeaient dans les poches et les besaces comme si de rien n'était.  Elle adorait ça.  La sensation d'adrénaline qui vous fait battre le coeur à la chamade, pour elle, rien n'était plus incroyable.  Et puis, elle a toujours eu l'impression que les hommes de droiture étaient en réalité les plus immoraux et c'est ainsi que ses petits crimes ont commencé, peu après le décès de son père.  Ces petits délits ne valaient pas grand chose, mais pouvaient mettre en colère plusieurs personne, car America ne s'en prenait qu'aux objets de valeur, particulièrement tout ce qui brillait et portait le nom d'or.  Elle avait un fort penchant pour ces objets qu'elle ne pouvait contenir.  En arrivant sur les lieux de la cérémonie, elle soupira d'aise en voyant la foule qui avait attiré jusqu'à des nobles de la cour de la reine.  La récolte serait bonne aujourd'hui.

Après avoir empoché colliers, bracelets et bagues sans se faire remarquer, elle s'apprêtait à quitter l'endroit lorsqu'un homme à l'allure curieuse attira son regard.  Même si elle avait déjà un bon butin, elle ne put s'empêcher d'avoir envie d'aller fouiner un peu dans le sac de cet étranger.  Il en sortait un morceau tout doré qui l'appelait d'une voix insistante et elle ne put résister.  Doucement et sans faire de bruits, elle s'approcha, comme si elle ne faisait que passer et elle plongea rapidement sa main droite dans le sac avant d'en sortir... une poupée de paille.  Il fut difficile de dépeindre la surprise qui affligea son visage aux traits délicats.

« Hey! Mais qu'est-ce que c'est que ce truc! » s'exclama-t-elle malgré elle.  Heureusement, elle n'éleva pas trop la voix et ne risquait pas d'attirer trop de regards sur elle : après tout, il ne faudrait pas qu'elle se fasse prendre dans son méfait.

Pas de chance, non seulement c'était une sale poupée de paille, mais en plus elle appartenait à un chat sauvage.  Un peu plus, il se serait mis à fêler d'outrage. Mais il en fallait bien plus pour époustoufler la jeune femme.  Elle dégagea une mèche de son visage, pas pressée de répondre à ce drôle de personnage : elle n'aimait pas se soumettre au contrôle des autres, mais avant tout c'était une menteuse hors pair et elle savait qu'elle saurait très bien se tirer de cette situation sans trop d'ennuis. La première raison de cette confiance absolue se trouvait dans le fait que le jeune homme n'avait pas appelé plus fort, il s'était contenté de s'adresser à elle plutôt que de crier au voleur.  Ça facilitait grandement les choses à vrai dire.  Ensuite, il n'avait qu'à dire qu'elle n'essayait pas de voler la marionnette, mais seulement de la rendre, car tombée du sac. Pour elle qui passait beaucoup plus de temps à observer qu'à participer, il était facile de distinguer qui était un vrai natif de Wonderland et qui ne l'était pas.  Ce qui était clairement le cas de cet homme aux yeux bridés.

Une fois sa coiffure en ordre, elle haussa les épaules d'un air détaché et sourit au jeune.  « Mais je ne veux pas vous voler cette marionnette, je venais de la ramasser quand vous me l'avez arrachée des mains.  Je pensais que c'était un présent pour ces deux enfants. » Ce qui aurait d'ailleurs été plein de bon sens : une jeune personne de son âge ne pouvait conserver ce genre de jouet pour elle-même, de surcroît s'il s'agit d'un garçon.  Elle prit un de ses airs innocents dont elle seule connaissait le secret : bien qu'elle aie déjà seize ans bien tournés, elle paraissait encore toute jeune et elle en profitait avec abus.  Elle avança d'un pas vers le jeune homme et s'accroupit avant de lâcher à voix très basse : « Les poupées, c'est pour les petites filles.  Moi je préfère ce qui brille de mille feux. »

Elle se releva dans un geste fluide, un peu comme un lutin, ce qu'elle était probablement et laissa échapper un petit rire cristallin.  Elle tendit la main au marionnettiste autant pour le saluer que pour l'aider à se redresser, à rester prostré comme ça avec sa marionnette pressée contre le coeur, il finirait par attirer l'attention des autres.

« Moi je m'appelle America.  Il paraît que c'est un pays du monde d'où tu viens. »  Inutile de conserver les formules polies.  America n'était pas du genre très bien élevée comme l'aurais dit les vieilles grands-mères et elle parlait familièrement à tout le monde, même aux étrangers.  C'était peut-être parce qu'elle n'avait toujours pas trouvé de personne envers qui elle ressentait un respect profond.  Ou tout simplement parce qu'elle se croyait l'égale de tout un chacun.

« Allez, il vaudrait mieux se lever, sinon on va croire que cette poupée est une offrande sacrificielle pour la bonne santé des bébés tout rose et piaillant. »  Elle prit un petit air taquin, qui rappelait que malgré tout, elle ne restait qu'une enfant à peine sortie du poulailler.